J.O. Numéro 15 du 18 Janvier 2001
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 21 décembre 2000 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 2000-439 DC
NOR : CSCL0004571X
LOI RELATIVE A L'ARCHEOLOGIE PREVENTIVE
Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'archéologie préventive et lui demandent de la déclarer non conforme à la Constitution, notamment pour les motifs suivants :
1. La création d'un établissement public à caractère administratif chargé de gérer une activité réputée de nature industrielle et commerciale porte atteinte aux articles 34 et 37 de la Constitution
L'article 1er de la loi précise que l'archéologie préventive :
« A pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans des délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus. »
Cette définition correspond à deux types d'activités : des activités de nature administrative et des activités de nature industrielle et commerciale.
Certaines relèvent effectivement d'une mission de service public. Ainsi il est normal que l'Etat se préoccupe d'assurer la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique susceptibles d'être affectés par des travaux. Il est donc possible d'en confier les modalités d'application et de contrôle à un établissement public administratif (EPA).
D'autres activités vont au-delà des prérogatives que l'Etat peut confier à l'établissement public administratif recouvrant essentiellement des activités de nature industrielle et commerciale.
Ainsi, l'article 4 de la loi énonce que « les diagnostics et les opérations de fouille d'archéologie préventive sont confiés à un établissement public national à caractère administratif (...). L'établissement public assure dans les mêmes conditions l'exploitation scientifique de ses activités et la diffusion de leurs résultats (...) ». L'article 2 ter ajoute que « le mobilier archéologique issu des opérations d'archéologie préventive est confié, sous le contrôle des services de l'Etat, à l'établissement public le temps nécessaire à son étude scientifique ».
L'EPA a donc en charge deux aspects de l'archéologie préventive : l'aspect scientifique et culturel, d'une part, et l'aspect économique, d'autre part.
Dans son avis du 19 mai 1998, le Conseil de la concurrence a estimé que :
« L'exécution des fouilles archéologiques préventives constitue une activité de nature économique qui est aujourd'hui exercée par divers opérateurs et que l'initiative privée n'est pas défaillante dans ce secteur. Dès lors, conférer des droits exclusifs voire un monopole pour l'ensemble des opérations d'exécution des fouilles n'apparaît ni indispensable ni nécessaire pour l'exécution de cette mission particulière ou d'une partie des opérations en cause. »
Le statut d'établissement public à caractère administratif est incompatible avec la nature des activités de l'organisme. Les sénateurs l'avaient d'ailleurs souligné en optant plutôt pour un établissement public à caractère industriel et commercial.
Or, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à plusieurs reprises sur cette question et a considéré que l'indication du caractère administratif, industriel et commercial, scientifique et technique ou autre d'un établissement public était de la compétence réglementaire (décision no 87-150 et décision no 89-162).
En insérant une telle qualification dans la loi, il est donc porté atteinte au principe de séparation des pouvoirs réglementaires et législatifs tels que définis aux articles 34 et 37 de la Constitution.
En conséquence, les articles 4 et 7 de la loi doivent être considérés comme non conformes à la Constitution.
2. L'atteinte à la liberté d'entreprendre
La création d'un établissement public administratif porte gravement atteinte à la liberté et à la diversité des professionnels déjà bien installés dans le secteur (archéologues de collectivités territoriales, du CNRS, des universités et des autres organismes privés d'archéologie). En effet, de nombreuses entreprises exercent à l'heure actuelle des activités économiques centrées autour de l'archéologie préventive, activités qui ne pourront désormais plus être exercées librement, mais à la demande de l'EPA.
La liberté d'entreprendre est un principe constitutionnel que le Conseil constitutionnel a reconnu dans sa décision de janvier 1982 sur les lois de nationalisation : « la liberté (...) ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusises étaient apportées à la liberté d'entreprendre ».
Certes, l'article 4 de la loi prévoit que l'EPA « peut faire appel, par voie de convention, à d'autres personnes morales, françaises ou étrangères, dotées de services de recherche archéologique ». Toutefois, cette possibilité ne constitue pas une réelle garantie d'ouverture puisqu'elle est à la discrétion de l'établissement.
Cette atteinte à la liberté d'entreprendre ne se justifie par aucun motif d'ordre public et ne peut répondre à l'article 90-2 du traité de Rome qui permet aux Etats de déroger sous certaines conditions aux principes du droit de la concurrence. Ainsi cet article prévoit que « les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère de monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la communauté ».
Or certaines activités de l'EPA présentent un caractère économique de nature industriel et commercial susceptibles d'être exercées par des entreprises privées, justifiant de l'application des règles de concurrence.
L'argument invoqué par les défenseurs de ce monopole, garantir que des opérations d'archéologie préventive puissent être menées sur tout un territoire en respectant le principe d'égalité de traitement, n'implique aucunement la création d'un monopole et d'un établissement public. Cela relève déjà de la mission de l'Etat et des services de l'archéologie de l'Etat qui doivent obligatoirement délivrer les autorisations nécessaires à la réalisation des chantiers. Le meilleur moyen de garantir l'égalité de traitement et la mutualisation de son financement, c'est justement de dissocier le contrôle qui relève fondamentalement d'une activité régalienne et la réalisation des opérations qui peut être exercée dans un cadre concurrentiel.
Un tel monopole n'existe dans aucun pays européen. Si l'exécution des fouilles s'effectue de façon générale sous le contrôle des autorités en charge de l'archéologie, conformément à la convention de Malte de 1992, il n'existe nulle part un opérateur de fouille unique comme le présent projet de loi. Le statut des opérateurs est très diversifié : structures parapubliques, coopératives privées d'archéologues (Italie), archéologues libéraux (Espagne), entreprises privées (Espagne, Allemagne), associations ou fondations (Allemagne, Angleterre).
La Cour de justice des Communautés européennes considère également qu'une activité à caractère économique susceptible d'être exercée par une entreprise privée dans un but lucratif ne saurait échapper aux règles de la concurrence en étant exercée dans le cadre de la gestion d'un service d'intérêt économique général après que des droits exclusifs aient été conférés à l'entreprise qui en est chargée. Ne relèvent en fait de cette notion que des activités qui bénéficient directement à la collectivité (arrêt Merci convenzionali porto di Genova Spa c/Siderurgica Gabrielli Spa, 10-12-1991).
L'établissement créé par cette loi constitue une atteinte à la liberté d'entreprendre et une entrave abusive au marché.
En conséquence, les articles 4, 5 et 7 de la loi, en tant qu'ils portent atteinte à la liberté d'entreprendre, doivent être déclarés inconstitutionnels.3. L'atteinte au principe de libre administrationdes collectivités locales
De nombreuses collectivités locales ont créé des services d'archéologie préventive. En créant un EPA doté de droits exclusifs, la loi porte atteinte à la liberté d'initiative de ces collectivités locales, qui ne pourront continuer à entretenir de tels services et qui n'auront la capacité de travailler et d'exercer leur activité qu'en fonction du bon vouloir discrétionnaire de l'Etat et de l'EPA. Les collectivités locales risquent donc de fermer leurs services d'archéologie préventive.
Or, l'article 72 de la Constitution énonce que « les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».
En conséquence, les articles 4 et 7 de la loi, en tant qu'ils portent atteinte au principe de libre administration des collectivités locales, doivent être déclarés contraires à la Constitution.4. L'atteinte au droit de propriété
En créant un monopole au service de l'Etat, sur les diagnostics, l'exécution des fouilles d'archéologie préventive, l'exploitation scientifique et la diffusion des résultats, la loi exproprie de fait les entreprises privées, personnes physiques ou morales qui exercent l'ensemble de ces activités liées à l'archéologie préventive.
De plus, aucune procédure d'indemnisation de ces professionnels ni de mesures transitoires n'est prévue dans ce projet de loi.
Ainsi, l'article 4 de la loi nationalise l'Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) sans aucune indemnisation.
Le droit de propriété est un principe à valeur constitutionnelle (cf. les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789).
Le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1982 relative à la nationalisation a reconnu que « les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété, dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ».
En conséquence, les articles 4 et 7 de la loi, en tant qu'ils portent atteinte au droit de propriété, doivent être déclarés inconstitutionnels.5. L'atteinte à la liberté d'association
De nombreuses associations loi 1901 interviennent dans le domaine de l'archéologie préventive. En créant un monopole, une partie de l'objet social de ces associations, quand ce n'est pas leur objet statutaire unique, devient contraire à la loi, ce qui fait encourir à ces associations le risque de se voir déclarer nulles en application de l'article 3 de la loi de 1901.
L'Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) est directement remise en cause par l'article 4 de la loi puisque ses adhérents se voient expropriés et dépouillés de la totalité de leurs personnels, de leurs droits et obligations.
Or, de nombreux textes à valeur supra légale protègent la liberté d'association. Il s'agit de l'article 8 de la Constitution de 1848, l'article 20 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article 22 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950.
La liberté d'association a été reconnue comme principe fondamental par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 71-644 du 16 juillet 1971.
Par ailleurs, il n'est pas possible de justifier ces restrictions à la liberté d'association pour des raisons de sécurité nationale, de sûreté publique, de défense de l'ordre et de prévention du crime, de protection de la santé ou de la morale ou de protection des droits et liberté d'autrui.
En conséquence, les articles 4 et 7 de la loi, en tant qu'ils portent atteinte à la liberté d'association, doivent être déclarés inconstitutionnels.6. L'atteinte à la liberté d'expression
L'article 4 confie les diagnostics et les opérations de fouille préventive à un établissement public, lequel assure l'exploitation scientifique et la diffusion des résultats. L'Etat a donc un contrôle exclusif sur l'accès aux informations et aux données permettant de connaître le patrimoine archéologique du territoire français.
De plus, l'article 1er de la loi prévoit que l'Etat désigne le responsable scientifique de toutes opérations d'archéologie préventive, il prescrit également les mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique.
Cependant, l'étude du patrimoine archéologique doit être réalisée de façon à protéger la liberté de communiquer des informations et des connaissances qui ne doivent pas pouvoir être conservées par une autorité étatique au détriment du principe de libre circulation des savoirs et des idées.
Ainsi, la loi contrevient au principe de libre accès à l'information, tel que garanti par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce monopole de l'Etat attentatoire à la liberté d'expression risque d'entraîner la mort des publications de nombreuses associations d'archéologie préventive puisque « l'établissement public assure l'exploitation scientifique de ses activités et la diffusion de leurs résultats, notamment dans le cadre de conventions de coopération conclues avec les établissements publics de recherche ou d'enseignement supérieur ».
Ainsi, l'article 4 de la loi prévoit que seuls les établissements publics de recherche ou d'enseignement supérieur sont habilités à publier les résultats des fouilles.
En conséquence, l'article 4 de la loi, en tant qu'il porte atteinte à la liberté d'expression doit être considéré comme inconstitutionnel.7. L'atteinte à l'article 34 de la Constitution
L'article 4 du projet de loi prévoit que « les biens, droits et obligations de l'association dénommée Association pour les fouilles archéologiques nationales sont dévolus à l'établissement public dans des conditions fixées par décret ». Les conséquences de cet article sont les suivantes :
Cette disposition met à charge du budget de l'Etat des sommes qui n'ont fait l'objet d'aucune évaluation ;
Cette disposition oblige l'Etat à assurer le financement de l'ensemble des contrats de travail qui ont pu être conclu par cette association, sans aucune limite ;
Cette disposition contrevient à la réglementation sur la répartition des compétences entre le Parlement et le Gouvernement. En effet, cette mesure de reprise des droits et obligations de l'AFAN engendre la reprise des engagements contractuels des salariés de l'AFAN. Cette mesure relève de la loi de finances qui selon l'article 34 de la Constitution, détermine « les ressources et charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » ;
Cette disposition revient à faire assumer par l'Etat, les risques de sanctions pénales dont l'AFAN fait l'objet au titre de sa gestion passée.
Par ailleurs, l'article 9 prévoit que « le montant de la redevance est arrêté par décision de l'établissement public sur le fondement des prescriptions de l'Etat qui en constituent le fait générateur ».
De cette façon, si la loi fixe certaines règles de calcul de cette redevance, le dispositif laisse une marge d'appréciation importante à l'EPA. Ainsi, un certain nombre de variables relève de son appréciation, notamment l'établissement des diagnostics et l'évaluation de la hauteur moyenne de la couche archéologique.
Du fait de son exclusivité sur les diagnostics et la mise en oeuvre des fouilles archéologiques, l'EPA est seul habilité sur le territoire français à procéder à ces calculs et ces analyses qui déterminent le niveau d'imposition des redevables, sans que ces derniers puissent recourir à des contre-expertises indépendantes puisque l'EPA détient ces missions à titre exclusif.
En donnant à l'établissement public le pouvoir de déterminer les ressources qui lui seront affectées, ce système contrevient à l'article 34 de la Constitution qui dispose que « le législateur fixe l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».
En conséquence, les articles 2, 4 et 9 de la loi doivent être déclarés inconstitutionnels.
En conclusion, les articles 4, 5, 7 et 9 de la loi doivent être considérés comme non conformes à la Constitution. De plus, en raison du caractère indivisible de ces dispositions avec l'ensemble de la loi sans lesquelles cette dernière ne pourrait être adoptée, l'ensemble de la loi relative à l'archéologie préventive doit être considéré comme non conforme à la Constitution.
(Liste des signataires : voir décision no 2000-439 DC.)